Salle du Môle aux Pâquis (GE). Jour de distribution de nourriture comme chaque mercredi. Les bénévoles des Colis du Cœur, en chasuble orange, ont réuni 1350 sacs. Les bénéficiaires passent entre 13h30 et 20h pour les récupérer. Un sac sec (pâtes, riz, conserves, barres énergétiques, céréales, etc.) préparé par la banque alimentaire Partage. Un sac frais (pommes de terre, courges, navets, carottes, clémentines, etc.) garni à titre gracieux par l’Union maraîchère de Genève.
«Un sac, ça fait environ trois repas», dit Charly, responsable de la distribution. Tête connue. On l’a vu aux Vernets au printemps 2020, au plus fort de la crise sanitaire, quand des milliers de travailleurs·euses sans statut venaient chercher un panier-repas. On les retrouve ici, des Asiatiques, des Philippines, des Sud-Américains, des Africains.
Elle fut caissière à la Migros
Mais aussi des Suisses. Elisabeth Micheli, de l’Hospice général, qui tient permanence au Môle «pour celles et ceux qui ont besoin d’informations», extrait cette statistique de son ordinateur: «7,8% des bénéficiaires sont Suisses.» Charly confirme: «Ils sont de plus en plus nombreux, je les repère.» Comme Virginie, la trentaine. Elle vit avec son garçon de 11 ans, du côté de la place de la Navigation. Elle fut caissière à la Migros, a cumulé des temps partiels dans le secrétariat et des périodes de chômage.
Aujourd’hui, ses douleurs lombaires la clouent souvent au lit. Son fils vient parfois récupérer le colis. «Je vis avec 1200 francs par mois et mon loyer s’élève à 600 francs. Cette nourriture que l’on nous donne c’est important. Il y a des produits frais avec des vitamines, je les laisse pour mon garçon», témoigne la jeune maman. Elle transborde le contenu des colis dans son petit chariot à roulettes. «J’ai un peu honte de me promener avec un sac des Colis du Cœur. Et ce qui est bien avec le masque, c’est qu’on ne me reconnaît pas.»
Elisabeth Micheli évoque des rencontres ici dans la file d’attente, avec des gens comme elle, des Suisses. Un bénévole qui s’est joint à la conversation se souvient d’une jeune Jurassienne, étudiante en sciences de la Terre, «qui voulait faire plus tard un métier utile pour la planète.» «Elle m’a dit que l’Université proposait des repas à 2 ou 3 francs mais que c’était terminé. Genève pour certains jeunes, c’est très dur aussi à cause de la vie chère et du covid qui a supprimé beaucoup de petits boulots», explique-t-il.
La précarité touche tout le monde
Ce que confirme Alain Decrausaz, membre du conseil de Fondation des Colis du Cœur: «La pandémie a précarisé davantage des franges de la population, dont beaucoup de jeunes. Les entreprises ont reçu des aides de la part de la Confédération. Pourquoi les particuliers en grande difficulté n’ont-ils pas bénéficié des mêmes avantages, comme un subside pour s’acquitter du loyer? Nous sommes en quelque sorte la porte avant la rue, une alarme avant la grande misère.»
Alain Decrausaz note lui aussi cette présence accrue de Suisses dans les files d’attente, «même s’il s’agit pour nous de ne jamais différencier les gens, ce sont des clients ou des bénéficiaires, peu importe d’où ils viennent.» Il enchaîne: «Les précédentes générations de Suisses faisaient peu ou pas appel aux services sociaux dont ils n’avaient par ailleurs guère de connaissances sur les aides possibles. Ils jugeaient qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Aujourd’hui, la situation a changé car la précarité touche tout le monde.»
Actifs depuis 1993, les Colis du Cœur réalisent trois distributions par semaine aux Pâquis, à Vernier et à Carouge. Quatre mille colis pour quelque 6000 bénéficiaires. 360 bénévoles sont mobilisés. Leur rôle ne se limite pas à tendre le sac. Il s’agit aussi de nouer un lien et d’orienter si besoin les bénéficiaires vers les représentants de la Croix-Rouge, de l’Entraide protestante suisse ou de l’Hospice général.
Les finances des Genevois plus touchées
Selon le quotidien 20 Minutes, l’Office cantonal de la statistique a remarqué que les répercussions de la pandémie de Covid-19 avaient été particulièrement importantes pour l’aide sociale économique. Pour cette catégorie, le nombre de bénéficiaires est passé de 29 900 en 2019 (6% de la population) à 31 900 en 2020 (6,3%).
Ces chiffres montrent que la crise sanitaire a davantage détérioré les finances des Genevois que celles des habitants du reste de la Suisse. A l’échelle nationale, le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale économique n’a que très peu progressé entre 2019 et 2020, passant de 271 500 à 272 100. Quant à la proportion d’individus soutenus, elle est restée stable à 3,2%, soit une proportion deux fois moindre que celle enregistrée à Genève.
En 2020, à Genève, 72 000 personnes ont bénéficié d’une ou de plusieurs des prestations sociales suivantes: aide sociale économique, allocations de logement, prestations complémentaires cantonales à l’AVS/AI, prestations complémentaires familiales et avances de pensions alimentaires. Au total, 14,5% de la population du bout du lac a été soutenue, un chiffre en hausse de 0,2% (+1700 personnes) par rapport à 2019.
Source: Le Temps, Christian Lecomte, janvier 2022